
Introduction
Voici le tout premier article d’une nouvelle série que j’ai intitulée, tout simplement: “le doctorat en biologie en Belgique”. Me voici en effet dans ma troisième année de thèse à l’Université libre de Bruxelles dans un labo de biologie. Puisque faire un doctorat, qui plus est en biologie, n’est pas ce qui a de plus commun, je me suis dit que faire une petite série d’articles à ce sujet pourrait intéresser quelques personnes.
Alors c’est parti pour l’article le plus déjanté de cette série puisqu’il concerne la récolte des termites! Même si cela ne vous concerne très probablement pas, je vous conseille de le lire car il est drôle et riche en anecdotes.
Préambule
Cet article ne se veut absolument pas scientifique, vous n’apprendrez pas la méthode de récolte, la théorie, mais plutôt le côté réel et toutes les galères et folies pouvant se passer lors d’une mission de terrain scientifique! J’ai réfléchi à différentes manières de vous raconter comment cela se passe: par exemple de manière factuelle, par anecdotes ou bien de manière visuelle uniquement. Au final, je vais vous raconter le terrain comme une histoire se passant lors d’une longue journée (qui sera donc un condensé de ce qu’il m’est arrivé au cours de trois missions sur un total de +- 6 mois en 3 ans: en Guyane, en Guadeloupe et au Costa Rica). Tout ce qui est écrit ici m’est donc bien arrivé, rien n’a été inventé, mais tout a été transposé au sein d’une seule longue journée. Si vous voulez la version courte et visuelle, je vous invite à voir mon post Instagram ici:
L’histoire d’une journée mouvementée
Le matin
Il est 5h10, mon réveil vibre sur ma petite montre connectée Garmin basique que j’ai achetée dans le but de ne réveiller personne, étant plutôt d’humeur matinale. Ici, le soleil se lève vers 5h30, c’est donc d’une facilité déconcertante de se réveiller comparé à Bruxelles en hiver. A moitié endormi, je cherche au fond de mon sac de couchage mon GSM que j’ai mis à mes pieds pour ne pas avoir trop d’ondes au niveau de mon cerveau, sait-on jamais. Une fois trouvé, j’allume mes données mobiles, dans l’espoir d’avoir un peu de H+ et non du Edge; pour un peu donner de nouvelles à mes amis et ma famille. Une fois cela fait, j’ouvre la tirette de la moustiquaire incluse avec mon hamac et je sors délicatement pour ne pas réveiller mes deux collègues situés à moins de 5 m de moi. J’enfile mon pantalon Forclaz, encore mouillé de la veille, mes chaussettes pleines de boues et un t-shirt à longue manches brun, qui était blanc quand je l’ai acheté il y a trois ans chez Decathlon pour ma première mission.
Il est déjà 5h25, je n’ai plus beaucoup de temps pour profiter de mon moment seul. Je sors du carbet chambre (construction typique des tropiques, composée d’un sol en bois, de poutres et d’un toit en tôle) et j’enfile mes tongs, après avoir vérifié qu’il ne s’y trouve ni fourmi ni mygale. J’ai eu une fois la malchance de mettre mon pied nu sur une fourmi du genre Atta (celles qui transportent des feuilles découpées avec soin pour nourrir leur élevage de champignons) et croyez-moi, il y a plus agréable comme réveil. En tout cas, c’est efficace. Je me dirige ensuite vers le carbet salon. Celui-ci dispose d’une grande table en bois massif comme on n’en trouve plus en Europe vu la puissance d’Ikea. Après avoir pris un grand verre d’eau du robinet, car oui nous avons un réservoir d’eau de pluie et une petite cuisine rudimentaire, je m’assois à table et profite de mes trente minutes avec moi-même pour faire mon petit Duolingo quotidien tant que j’ai un peu de réseau.
Vers 6h, une collègue me rejoint et notre danse matinale journalière démarre: nous sortons trois cuillères, trois bols, des flocons d’avoine, des céréales, un gallon de lait, deux bananes, une pomme, un couteau, trois tasses et des sachets de thé. Ce sera notre petit déjeuner pendant l’entièreté de la mission. Une fois le dernier collègue attablé, nous mangeons en se demandant bien ce qu’il nous arrivera aujourd’hui et en espérant surtout que la récolte sera bonne. Ces deux derniers jours n’ont pas été les plus faciles et peuvent se résumer en trois mots: drache (pour les français: pluie intense), pentes et moustiques. C’est lorsque tout le monde a fini de manger que commence la deuxième valse matinale: la préparation de notre repas du midi, digne d’un chef étoilé.
Tous les trois armés d’un couteau, nous découpons soigneusement quatre tranches de tomates qui permettent d’ajouter un côté premium à nos pains de mie. Sur ces derniers, nous déposons avec délicatesse deux tranches de plastique, aussi appelées cheddar pour les américains, et deux tranches de tomates. Comme dessert, nous avons toujours du pain de mie mais cette fois garni de sa tartinade de beurre de cacahuète enrichie à l’huile de palme. Nos trois sandwichs préparés, nous pouvons commencer à décortiquer la coquille de notre œuf dur, pièce maîtresse du repas, apportant toutes les protéines pour tenir l’après-midi. Nous emballons ensuite chacun nos sandwichs dans un plastique qu’on accompagne donc de notre œuf dur mais aussi d’une carotte, d’une pomme et d’un petit paquet de biscuit pour clôturer ce repas complet. Nous avons également tous une barre de céréales en cas de besoin d’énergie sur le terrain, c’est essentiel pour la motivation.
Aux environs de 6h40, mon collègue lance le signal d’attaque “Bon bah…” signifiant qu’on peut se lever, ranger et se préparer au départ. Chacun clôture sa routine matinale dans son ordre de prédilection: instant téléphone, salle de bain, réponse à un mail important, préparation du sac; tout se fait en l’espace de 20 min pour notre départ habituel aux environs de 7h sans qu’on n’ait jamais eu à définir une heure de départ. C’est comme si nos esprits s’étaient alignés sur une même routine et une même optimisation du temps; un désir brûlant d’être le plus efficace possible sans pour autant se stresser le moins du monde. Vers 6h55, je sors du frigo ma gourde et ma grande bouteille d’eau qui ira avec le reste de mes affaires dans mon sac à dos. Nous avons en effet de l’électricité grâce à une dizaine de panneaux solaires ainsi qu’un générateur diesel de secours. Dans le sac à dos, nous trouvons un anti-moustique à base d’huiles essentielles, de la crème solaire 50+ pour bébés (ayant une peau digne d’un bébé irlandais de 3 semaines), mon bloc notes, des tubes d’éthanols pour y mettre les termites, la barre de céréales de survie et mon repas gastronomique. Une fois mon sac fermé, j’ai le doux plaisir d’enfiler mes chaussures de marche et d’entendre le petit *squeetch* habituel de la pression de ma paume de pied sur la semelle encore imbibée d’un mélange de boue et d’eau tiède.
Aujourd’hui, nous commençons un nouveau site, à seulement 40 minutes de route de notre logement, ce qui se traduit par une pointe d’excitation et d’appréhension. Chaque nouveau site est une véritable surprise: arriverons-nous à trouver un point d’entrée facile? Sera-t-il rempli de pentes dangereuses ou de rivières impraticables? Y aura-t-il autant de moustiques femelles par minute que nos battements de cœur au repos? Tant de questions dont les réponses ne sont séparées que par 40 minutes de musique sur Spotify. C’est à mon tour de mettre la musique pour ce trajet donc je décide de commencer par un petit “Ecstasy of Gold » d’ Ennio Morricone pour nous mettre dans l’ambiance, les termites étant notre or à trouver coûte que coûte.
Le chemin permettant de sortir de la station biologique est un mélange de terre battue et de gravier avec des nids de poule pouvant largement faire rougir nos routes wallonnes. Pas besoin de payer un ticket pour Walt Disney quand on peut rouler en Dacia Sandero sur des routes aussi mouvementées. Après 10 min d’attraction forte, nous arrivons sur la route nationale, limitée en théorie à 80 km/h mais en pratique la moyenne est plutôt aux alentours des 140 km/h. Après 15 min de route, je sors de la nationale pour rejoindre une petite route qui ne tarde pas à ressembler à notre chemin de terre battue et de graviers avant de finalement n’avoir plus que de la terre battue: notre site est une forêt primaire longée par des champs de canne à sucre. Pour accéder au site, nous devons emprunter la route utilisée par les tracteurs mais celle-ci est fort humide puisqu’il n’a cessé de pleuvoir pendant trois jours consécutifs.
Je m’arrête un instant pour analyser la situation et je regarde mes collègues alors que Spotify se met à lancer la musique “Never Back Down” de Two Steps From Hell, parfait, je ne pouvais espérer mieux. Je leur fais un petit hochement de tête, rempli de confiance et de testostérone, tel un Hoplite Spartiate prêt à mourir pour sa patrie, le cœur fort mais léger. J’appuie sur la pédale d’accélérateur et la voiture avance, jusque là rien d’anormal, je tourne à gauche et je vois une légère montée, entourée de cannes à sucre: un jeu d’enfant. J’accélère, poussé par la puissance de l’orchestre qui fait vibrer mes trois osselets par oreille, et je souris, quel moment merveilleux et que l’Homme est incroyable d’avoir inventé une machine aussi puissante et libératrice que la voiture. Ce moment est si magique que tout s’arrête: le ciel bleu et ses nuages, le vent entrant par les fenêtres, tout; même les cannes à sucre n’ont pas bougé depuis que j’ai commencé à accélérer. C’est à cet instant précis que je retourne à la réalité et que j’aperçois par la vitre arrière que je suis en train d’essayer de peindre l’air à coup de boue. J’essaie de tourner le volant dans l’espoir de nous dégager mais rien n’y fait, nous sommes complètement embourbés au milieu d’un champ de cannes à sucre. Le comble pour des amateurs de sirop de cannes.
Il est 7h45 quand je sors de la voiture pour voir à quel point notre voiture ne fait qu’un avec la boue. Les roues ne sont plus noires mais arborent une couleur orange-brune, c’est assez joli et chaotique. Je propose à ma collègue d’appuyer sur l’accélérateur pendant que je pousse la voiture avec mon collègue. C’est très efficace, nous sommes maintenant aussi orange que Donald Trump. La voiture n’a par contre pas bougé du tout. Nous essayons à tour de rôle, en espérant que le résultat soit différent – la définition même de la folie – mais rien n’y fait, la voiture stagne comme l’économie japonaise depuis les années 90. Vers 7h55, l’improbable se produit: nous apercevons deux cyclistes du dimanche sortir de nulle part à travers les rayons du soleil; comme s’ils étaient envoyés du ciel. Un peu amusés par la situation, ils nous demandent si nous avons besoin d’aide. Quelques minutes plus tard, nous voilà sortis de la boue grâce à nos deux sauveurs. Nous décidons de ne pas tenter le diable en garant la voiture sur le bas-côté, nous ferons le reste du chemin à pied.
Il est donc 8h quand je mets sur mon épaule mon sac à dos et le sac de terrain, composé d’une pelle, une machette, deux haches, quatre bacs en plastique et d’un quadrat (une corde avec quatre piquets, des sardines). Nous avons une marche d’environ 15 minutes pour atteindre l’entrée de notre site d’étude. Un jeu d’enfant. Je chantonne une musique de IC3PEAK (Tablyetki) le pas assuré et confiant: il fait beau et l’aventure peut enfin commencer! Le chemin est sympathique, nous traversons une petite rivière et les cannes à sucre se succèdent pour donner place à une petite prairie pentue avec des vaches. Je salue une vache curieuse à ma gauche puis regarde droit devant moi: trois vaches nous barrent la route. Quand on pense à une vache, on l’imagine souvent derrière des barrières ou des barbelés; on ne se rend rarement compte de sa taille imposante. Lorsqu’on fait face à trois vaches, sans aucune barrière, et visiblement pas très enchantées d’avoir trois chercheurs paumés, la situation est fort différente. Je ne suis honnêtement pas très confiant, étant 100% végétarien à ce moment là, pour moi ces trois vaches ont légitimement le droit de nous attaquer puisque nous ne sommes pas tous les trois végétariens. Je reste donc sur place, comme tétanisé par la possibilité d’une vengeance plus que justifiée.
Mon collègue me dépasse alors en lâchant une petite moquerie et effectivement les trois vaches détalent et nous laissent la voie libre. Plus de peur que de mal. Il ne nous reste plus qu’une grosse montée avant d’atteindre la forêt, nous entendons déjà les singes hurleurs occupés d’accomplir leur rituel matinal. Une fois arrivés dans la forêt, je peux commencer les hostilités, à savoir tracer un chemin de 200 m au travers de la forêt. Au menu: des centaines de coup de machette à tout va mais surtout éviter à tout prix de se prendre une liane rasoir dans les mains ou au visage. Cette herbe à l’apparence inoffensive est aussi coupante qu’un couteau japonais tout neuf; il suffit de l’effleurer pour saigner instantanément. Mon visage et mes mains en ont fait les frais à plusieurs reprises mais pas cette fois-ci, heureusement. Une fois les 200 m effectués, c’est l’heure de se badigeonner du spray anti moustiques aux huiles essentielles; qui est littéralement essentiel pour limiter légèrement le taux de piqûres.
Il est environ 8h45 lorsque nous pouvons commencer à tracer notre premier transect. Concrètement, je tiens de ma main gauche le bout d’un décamètre qu’un de mes collègues retient et je marche jusqu’à entendre un “stop!” au bout de 10 mètres, tout en ayant aussi ma boussole. L’autre main étant occupée par ma machette pour me frayer un passage. Je peux ensuite écrire sur un petit ruban rose fluo le numéro du quadrat (X-01). Nous continuons ainsi pendant 240 m jusqu’au quadrat X-25 en essayant de maintenir une ligne la plus droite possible. Ensuite, j’effectue une rotation de 90° et nous marchons 50 m pour atteindre le dernier quadrat du deuxième transect (Y-25). On répète ainsi l’opération et l’entièreté dure en moyenne entre 1h30 et 2h. Aujourd’hui, le premier transect s’effectue sans encombre, hormis une zone un peu pentue et une zone marécageuse remplie de moustiques, tout se passe bien. C’est une autre histoire pour le transect Y.
Au 20ème quadrat, une première épreuve nous fait face: une rivière. Ce n’est pas la première fois qu’on doit en traverser une mais celle-ci est assez profonde. J’avance d’un pas décidé et l’eau m’arrive rapidement au niveau des genoux mais pas plus haut, heureusement. Au milieu de la rivière, d’environ 7 m de large, se trouvent plusieurs cailloux assez gros. Je dépose mon pied droit qui glisse alors dû à la présence d’algues et je tombe en me rattrapant avec la main gauche sur un autre caillou. Plus de peur que de mal, quoique le choc sur le caillou n’était pas des plus agréables. Les dix prochains quadrats sont délimités sans problèmes et on a même la chance d’apercevoir (et d’entendre) un Toucan tocard sur sa branche. Je prends le temps de faire un petit shooting photos pour mon Instagram (@biotifulvie) avant de reprendre le transect tout en continuant d’avoir les yeux en l’air. Ma contemplation s’arrête net lorsque mon pied gauche, cette fois, se prend dans des fils barbelés. Par chance, je n’ai qu’une petite égratignure; mais qui a bien pu mettre ces foutus barbelés dans la forêt?
Il ne reste plus qu’un quadrat lorsqu’on trouve de nouveaux barbelés mais cette fois la clôture est bien droite et relevée. On peut aussi apercevoir au loin (à plus de 150 m) que la luminosité est trop forte pour que ce soit toujours une forêt mais bien une lisière. On décide, cette fois, de ne pas sauter au-dessus de la clôture, cela n’en vaut pas la peine pour un seul quadrat. On le place donc à droite à côté. Il est 10h30 quand nos deux transects ont été faits. Cette partie, assez fun, est toutefois fort physique vu le nombre de coups de machette à effectuer. Une pause avec notre barre de céréales s’impose donc pour reprendre un peu de force. Moins de cinq minutes plus tard, nous reprenons le terrain en marchant jusqu’à notre quadrat X-01 à 50 m où nous avions laissé notre sac de terrain.
Je prends ensuite la corde que je déroule et quatre sardines dont je passe la moitié à ma collègue. Nous faisons le plus beau carré possible, centré sur notre ruban rose. C’est maintenant que la chasse commence! Armés d’une machette ou d’une hachette, nous cassons tout bout de bois et brindille se trouvant au sein de ces 5 m2. Lorsque le quadrat a été fait, je peux commencer la partie la plus physique et fatigante du terrain: réaliser six trous de 12 cm x 12 cm x 12 cm. Je dépose chaque cube de terre dans un de nos quatre bacs qu’un de mes collègues peut ensuite prendre et fouiller avec soin dans l’espoir de trouver des termites humivores. Trente minutes après avoir commencé ce quadrat, sans rien trouver, nous enlevons le quadrat et ramassons nos affaires. J’arrache le petit ruban pour le mettre dans ma poche, nous n’en avons plus besoin, et nous pouvons ensuite marcher jusqu’au prochain quadrat.
On répète ainsi ces étapes avec une précision chirurgicale. Au fil des années, nous avons appris à optimiser au maximum chaque étape de la récolte pour gagner le plus de temps possible. Ainsi, je note toujours ce qu’on a trouvé (ou pas trouvé) au quadrat suivant et lorsqu’il est prêt pour que mes collègues puissent commencer à chasser en attendant. Il est 11h45 lorsque nous arrivons au quatrième quadrat. Encore un petit effort avant la pause, tant attendue, du midi. Je suis dans mon coin de quadrat à ramasser un bout de bois sans trop d’espoirs – nous n’avons pas encore trouvé de termites aujourd’hui – lorsque j’aperçois des Nasutitermes. Je dis alors, comme d’habitude: “Ah! Termitas! Des Nasutitermes classico”. C’est un genre très commun qu’on retrouve presque partout que ce soit en ville ou en forêt. Ils font typiquement un gros nid brun-noir qu’on peut apercevoir sur les poteaux et arbres dans quasiment tous les pays tropicaux. Je prends une dizaine de soldats et 3-4 ouvriers que je dépose dans mon tube rempli d’éthanol; ou bien comme dirait un très bon collègue à moi “j’essaie de leur apprendre à nager, mais ce n’est pas très efficace”.
Une fois le tube mis dans ma poche, je continue ma routine en prenant un bout de bois un peu plus à droite, tel un robot, sans trop regarder. Je le casse ensuite en deux, puis étant sans termites, je le jette en dehors du quadrat avant de regarder si un autre bois se trouve à côté. Je plisse un peu les yeux, pensant rêver, et aperçois un énorme serpent à moins de 2 cm du bois que je venais de prendre à main nue et sans regarder. C’est une vipère, une vipère à nez de cochon (Porthidium nasutum). Son venin est hémotoxique et, chez l’homme, provoque une douleur intense, une inflammation, des troubles moteurs, un œdème, une nécrose (mort des cellules), une hémorragie et même la mort. J’ai eu très chaud, ce n’était pas passé loin; comme quoi la mort peut frapper à tout moment. Je recule de deux mètres et préviens mes collègues pour qu’ils viennent voir ce magnifique serpent d’environ 50 cm. Il arbore une couleur mauve-gris avec une ligne rouge-orange munie de triangles noirs; comme pour dire “attention”! Après son shooting photo, je prends ma machette pour le mettre en dehors du quadrat histoire d’éviter tout danger supplémentaire.
Le midi
Il est 12h lorsque nous décidons de faire notre pause du midi. Alors que nous enlevons nos tartines de nos sacs plastiques, nous entendons un gros hurlement assez grave et fort proche: des singes hurleurs! Je n’ai pas encore réussi à en photographier de près donc c’est mon moment. Mes tartines attendront! Je me dirige en direction des hurlements tout en scrutant dans les arbres le moindre mouvement et la présence de tâches noires. J’avance ainsi comme ça une cinquantaine de mètres jusqu’à trouver un magnifique singe hurleur mâle. Il me regarde d’un air un peu méfiant tandis que je vois un mouvement un peu anormal en bas à gauche de son corps. Je prends mon GSM pour zoomer de plus près et là que vois-je, une tête de bébé singe hurleur qui dépasse! Cette image restera gravée à jamais dans ma mémoire. Après le shooting photos réalisé, je dois maintenant retrouver mes collègues. J’ai heureusement un bon sens de l’orientation.
Nous mangeons nos tartines tout en ayant un débat par rapport à l’utilisation du micro-ondes pour cuire tout et rien. Pour moi, son efficacité est difficile à battre, on peut tout cuire ou réchauffer en quelques minutes et sans devoir nettoyer de poêle ou de casserole! Ce n’est pas l’avis de mon collègue pour qui une ratatouille doit se faire en grillant les légumes au préalable, je comprends son point de vue. A ce moment-là, on entend des aboiements de chiens au loin. Bizarre, il n’y a pourtant, a priori, pas de maison à proximité. Les aboiements se rapprochent. Ayant eu une mauvaise expérience tout petit avec un gros chien, mon rythme cardiaque s’accélère. Ma main se resserre autour de ma machette tandis que mes yeux guettent le moindre mouvement suspect dans la direction des aboiements. Que vois-je? Un pitbull américain. C’est bien la dernière race de chien que j’aurais voulu avoir devant moi. Il n’a pas l’air content et il se trouve à moins de 10 m de nous. Il semble un peu perdu, il ne sait pas trop comment réagir; j’imagine qu’il n’a pas l’habitude de voir des humains ici.
Le temps est figé. J’ai toujours une demi tartine en main et ma machette dans l’autre. C’est un véritable duel de cowboys, nos yeux ne se quittent plus; mais il n’y pas d’amour dans l’air. On entend alors au loin, des bruits de feuilles. Quelques secondes plus tard, on entrevoit un homme avec une machette, celui-ci hurle de loin avec un accent créole assez prononcé: “Qu’est ce que vous faites là? Vous êtes des espions français?!”. Nous n’en croyons pas nos oreilles et nos rythmes cardiaques ont du mal à se calmer. “Vous êtes en train d’installer des caméras?”. “Non non, nous récoltons juste des termites, nous sommes belges; on travaille pour la Belgique”. La combinaison du mot “termite” et “belge” semble avoir eu un effet positif: les Belges ayant une réputation amicale dans le monde entier. Les épaules du protagoniste se détendent un peu et il ne brandit plus la machette comme s’il était prêt à en découdre. Il ose même dire au chien de se calmer. “Ohhh vous étudiez les termites?! Attendez je vais chercher ma femme”. On ne comprend pas trop le lien mais soit, je finis ma tartine le temps que son épouse arrive. Cette dernière nous explique qu’elle nourrit les poules avec les termites et en profite pour nous poser plusieurs questions. On y répond avec joie, ce n’est pas tous les jours qu’on peut parler de termites. Sa curiosité une fois à satiété, elle s’en va et nous finissons de manger. Plus de peur que de mal… Cela fera une sacré histoire à raconter, heureusement qu’on avait pas l’accent français, une fois!
L’après-midi
Nous sommes aux environs de 12h45 quand nous reprenons notre récolte. Nous arrivons dans une zone un peu plus marécageuse, ce qui signifie peu de termites mais beaucoup de moustiques. On se recouvre à foison d’anti moustiques mais on s’apprête à souffrir tout de même. Nous travaillons à la chaîne de manière automatique: mettre le quadrat, ramasser un bâton, le couper en deux, le jeter, faire un trou, le mettre dans un bac, enlever le quadrat, ramasser les outils, prendre le sac, marcher jusqu’au prochain quadrat; et on répète ainsi machinalement. La fatigue se fait ressentir, nous ne parlons plus beaucoup si ce n’est pour commenter sur l’absence ou la présence de termites. Vers 14h, alors qu’il nous reste au moins 1h à 2h de récolte, le ciel se couvre soudainement et la luminosité diminue fortement. Cela ne sent pas bon. En moins de deux minutes, nous sommes trempés et nos bacs ressemblent plus à des piscines qu’autre chose. C’est comme si on s’amusait à chercher des termites d’eau, une aiguille dans une botte de foin. On continue comme ça une dizaine de minutes, en espérant un miracle, que la pluie cesse. Mais rien n’y fait. On finit par décider de retourner à la voiture.
Pour le retour, j’aperçois au niveau de la rivière un potentiel raccourci. Il y a en effet, une quinzaine de mètres plus loin un énorme tronc qui s’est effondré depuis un certain temps au point qu’il est recouvert de terre et de plantes. C’est donc un véritable pont qui nous attend. Je le traverse sans même hésiter une seconde, tout comme ma collègue. On fait tout de même attention au milieu vu que cela a l’air un peu fragile et que nous sommes à 3-4 m au-dessus de la rivière. Une fois traversé, je me retourne pour attendre mes deux collègues. Ma collègue me rejoint quand le deuxième, qui était un peu à la traîne, commence à emprunter le pont. On entend un gros craquement, comme lorsque un arbre s’effondre mais là ce n’est pas un arbre. En l’espace de quelques secondes, les jambes du retardataire ont disparu: on ne voit plus que son buste et sa tête: sous son poids, un énorme trou s’est formé au milieu du pont. C’est le gros stress de mon côté mais mon collègue affiche un grand sourire et arrive à se relever sans aucun souci. C’était peut-être pas le meilleur raccourci que j’ai pris mais tout va bien au final et le reste du trajet jusqu’à la voiture se passe sans encombre.
Nous déposons nos affaires dans le coffre avant de s’installer à nos places respectives. Une fois tous attachés, j’allume le contact. Étrangement, les essuies-glaces se mettent en marche. Bizarre, de toute ma vie de gros rouleur, je n’ai jamais oublié de les éteindre. L’écran multimédia clignote et les quatre feux également. La voiture commence à faire un bruit de panique, un bip strident très agréable pour nos oreilles. Je coupe le contact de la voiture. Rien de tel que d’allumer et d’éteindre lorsqu’un produit informatique ne fonctionne pas correctement, n’est-ce pas? Je rallume mais la situation se répète. Je tente de répéter une seconde fois l’opération, dans un élan de folie ou d’espoir. Rien n’y fait. Cela doit être la batterie. Nous n’avons absolument aucun réseau donc je demande à ma collègue d’aller chercher le GPS dans le coffre, celui-ci étant connecté aux satellites et pouvant envoyer des SMS. Elle sort pour ouvrir le coffre mais impossible, c’est comme si la voiture était possédée. Le coffre est complètement bloqué tandis que l’essuie-glace nous nargue d’un va et vient similaire à un “non” grossier. Heureusement, la trappe à skis est encore mécanique et n’a rien d’électronique. On arrive donc tant bien que mal à extraire le GPS du coffre. On envoie un SMS avec nos coordonnées à notre chef d’équipe, retourné en Belgique, en lui demandant d’appeler la location de voiture pour nous sauver.
On attend ainsi dans notre voiture démoniaque, avec tous les sons et mouvements qui vont de paire. Tout en étant tout de même content de ne pas être sous la drache qui ne s’adoucit pas. Au bout de trente minutes, nous devons faire face à l’évidence, le SMS n’est probablement pas parti ou alors il n’a pas été vu; on devra compter sur nous même. Nous partons sans nos sac à dos qui sont totalement inaccessibles. Un peu comme dans une scène épique (ou triste) d’un film à l’américaine, nous nous mettons à courir (alors que ce n’est pas nécessaire) sous la pluie. Une fois sur la route principale, nous continuons ainsi, comme Forrest Gump, en essayant d’interpeller le peu de voitures qui passent à côté. Personne ne s’arrête et toujours aucune barre réseau lorsqu’on se rend compte d’une erreur de notre part. Aucun de nous n’a pensé à prendre de l’eau, quelle erreur de débutant. Notre course est de moins en moins rapide, probablement dû à un mélange de fatigue, de déshydratation et de désespoir. Cela fait au moins trente minutes qu’on court et aucune des deux voitures nous ayant dépassés ne s’est arrêtée pour nous. Je commence à rêver d’eau, sous cette chaleur et humidité écrasante (28°C et 95% d’humidité), lorsque comme par magie, j’aperçois sur le bord de la route une bouteille d’eau de deux litres non ouverte. Mes collègues n’ont pas le temps d’être réticents que j’ai déjà commencé à boire. “Ah, ça fait du bien! C’est la bouteille de Jésus, c’est sûr!”, dis-je en rigolant. N’empêche qu’elle nous aura été très bénéfique puisqu’il faudra encore marcher 5 km pour qu’on soit pris en stop jusqu’à une zone avec du réseau.
Il est aux alentours de 16h lorsque la dépanneuse arrive à proximité d’où nous avons laissé la voiture. Mauvaise nouvelle, le dépanneur refuse catégoriquement de venir jusqu’à la voiture qui n’est pas sur la route et qui est dans une zone, ma foi, embourbable. Il hésite carrément à partir et à nous laisser seuls avant de toutefois nous poser plus de questions quant à notre panne. J’explique que c’est probablement un problème de batterie et il décide donc de prendre son booster et de marcher avec nous jusqu’à la voiture. Miracle! La voiture refonctionne. Je ne dois par contre surtout pas caler, sous peine d’être de nouveau bloqué. Le dépanneur me recommande d’aller jusqu’à l’intersection entre la route principale et l’autoroute, où il y a du réseau, pour appeler la location et voir ce qu’on peut faire pour la batterie. En bon gentleman, il nous accompagne et attend que nous ayons une solution. La location de voitures nous demande d’aller jusqu’à un parking Carrefour dans la ville principale où un agent fera un swap de batterie. C’est quasiment une heure de route. Le dépanneur s’en va cinq minutes avant que je m’apprête à partir.
Il y a une grosse bosse devant les deux roues avant, ce qui nécessite que je mette les gaz à fond pour la franchir. Enfin, ça c’est ce que j’aurais dû faire si j’avais su qu’il y avait cette bosse. Résultat: j’ai calé. Et oui, ça aurait été trop facile sinon. Je m’empresse de rappeler notre gentleman, qui heureusement n’était pas encore trop loin. Il me sauve à nouveau, sans s’empêcher de m’engueuler légèrement mais tout en ayant la bonne humeur créole. Le trajet se fait avec un stress constant de caler mais tout se passe bien. Il est 18h quand nous sommes de retour à la station, avec une batterie toute neuve. Sacré journée. On enlève nos chaussures trempées et on se change rapidement, sans prendre la peine de prendre une douche. Nous attendons tous avec impatience la récompense de chaque journée: le sacro-saint apéro!
La soirée
Ce dernier commence avec une quinzaine de minutes de retard par rapport à d’habitude. On sort un paquet de chips, des cacahuètes, trois bières et un jeu de cartes. Au menu de ce soir: danish, rami et cactus! Les bières ne sont qu’une mise en bouche puisque le véritable apéro des termitologues est le ti-punch. C’est tout un rituel. On prend d’abord un citron vert, qu’on presse pour maximiser le jus, on le coupe ensuite en quarts. Nous avons tous un ecocup respectif avec des dessins d’animaux différents. Une fois les deux quarts de citrons pressés et déposés dans chaque ecocup, on verse du sirop de canne puis on remplit de rhum agricole 50%. Attention, détail très important, le rhum doit toujours dépasser les citrons verts donc si vos quarts se mettent à la verticale, bonne chance! Nous enchaînons ainsi les ti-punchs sans compter tout en préparant un repas gastronomique. Aujourd’hui, nous optons pour des pâtes au pesto; de quoi pouvoir jouer (boire) au maximum sans perdre de temps.
A mesure que nous buvons nos ti-punchs, nous oublions presque un détail important: les moustiques. Nos carbets n’ayant pas de murs, nous tuons en moyenne un moustique par minute. Nos corps sont recouverts de piqûres et de tâches de sang. Pour avoir un léger répit, nous avons deux techniques: s’asperger d’anti moustiques et allumer une ou deux spirales. Cela permet d’être légèrement tranquille, et ça on apprécie. Alors que nous jouons, une chauve-souris traverse le carbet, probablement pour manger quelques moustiques au passage. Ensuite, c’est au tour d’une grosse grenouille de faire son apparition, de la taille de ma main. Elle se pose sur un des poteaux du carbet et nous observe avec de bien gros yeux. Elle doit en effet trouver la situation cocasse: trois termitologues pompettes qui commencent à chantonner des chants de cantus, au beau milieu de la forêt tropicale. Ce n’est probablement pas ce qui il y a de plus fréquent ici!
La nuit
Vers 23h, les troupes commencent à faiblir; la fatigue, accumulée tout au long de cette journée bien remplie, pointe le bout de son nez. On se lave les dents rapidement avant d’entrer dans nos sac de couchages respectifs. Ayant du mal à dormir dans un hamac avec mes nombreuses piqûres de moustiques, je gobe un Xyzall (antihistaminiques) pour m’endormir paisiblement. Enfin ça, ce serait le cas si un moustique n’avait pas réussi à rentrer quand j’ai ouvert la moustiquaire pour rentrer. Une bataille acharnée se produit donc de 2h à 3h du matin dans le but de chasser l’envahisseur. Les pertes (en sommeil) sont grandes mais finissent par payer: une tâche de sang de plus colore ma moustiquaire. C’est un véritable tableau historique qui sera produit d’ici la fin du terrain, digne d’un Vermeer. Il reste encore 2h10 avant que le jour ne se lève à nouveau, que notre danse matinale s’enclenche, que la valse des termites démarre de plus belle, dans un tourbillon d’aventures, qui à à jamais, auront marqué ma mémoire.
En savoir plus sur les termites:
Si par le plus grand des hasards, cette histoire vous a plu et que vous avez une envie irrésistible d’en savoir plus sur les termites et ce que je fais; je vous invite à voir mes articles scientifiques ici: